Wednesday, June 20, 2012

Quand l’Allemagne prend la Grèce en otage...

Quel pays réduit le plus les ressources de l'économie européenne : la Grèce ou l'Allemagne ? En dépit d'une différence au niveau de leur superficie, ces deux économies sont « renflouées » avec un niveau presque identique de liquidités.

Bloomberg, une agence de presse pas tout à fait bolchévique, a récemment mis en évidence les raisons pour lesquelles il ne nous faudrait éprouver aucune sympathie pour les banquiers de Francfort et de Berlin. Les éditeurs de cette agence ont évalué à 284 milliards d'euros le montant que l'Allemagne a emprunté aux autres pays de la zone euro de 2009 à la fin de l'année dernière. Quant à la Grèce, elle s'est vue emprunter 340 milliards d'euros suite à la crise ; de cette somme, seuls 15 milliards ont été prêtés par l'Allemagne.

Il y a bien évidemment une différence fondamentale dans la manière dont ces transferts se déroulent. À l'exception d'une décote occasionnelle, les banques allemandes ne se sont pas vues pénaliser pour les prêts abusifs qu'elles ont octroyés ; au contraire, on leur rembourse leurs prêts en y incluant les intérêts. Quant à la Grèce, on exige d'elle qu'elle mette en péril et détruise sa société afin de satisfaire aux conditions fixées par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

Un fonctionnaire allemand s'est vu confier la responsabilité de mener et de gérer l'intervention en Grèce, comme s'il s'agissait là de mettre en évidence la nature impériale de cette intervention.

Le nom de Horst Reichenbach, directeur de la « Task force » pour la Grèce, a été mentionné dans la presse récemment au sujet d'une voiture qu'utilisait son épouse, très ancienne membre du Parlement européen, et qui a été incendiée devant leur domicile à Potsdam. Je condamne cet acte de violence sans aucune hésitation et suis soulagé de voir que cet incendie n'a causé aucun blessé.

Néanmoins, cette attaque ne devrait pas distraire notre attention du mal qu'inflige Reichenbach à la population grecque. Les patients souffrant de maladies rares doivent à présent payer le prix plein pour leur traitement alors que celui-ci était, auparavant, subsidié par l'Etat. Pourquoi ? Parce que c'est Reichenbach et ses marionnettistes qui ont exigé une réduction de 10% dans les dépenses publiques de santé. Cette mesure va causer bien plus de souffrance humaine que l'incendie d'une BMW vide.

La nationalité de Reichenbach n'est pas le seul facteur qui remette en question sa neutralité. Son curriculum vitae en dit long.

Il a été fonctionnaire à la Commission européenne pendant une trentaine d'années et y a gravi les échelons de la hiérarchie pour devenir le Directeur-Général entreprises et industrie. En occupant ce poste, il a présidé un département qui est secret à de nombreux égards. Toutefois, il y a une chose que ce fief ne dissimule pas : les intérêts des grandes entreprises sont pris en considération avant toute autre chose.

Encore plus problématique, concernant le curriculum de Reichenbach, est son arrivée à la Banque européenne de reconstruction et de développement en tant que vice-président.

Afin de garantir une certaine transparence, la BERD devrait publier les détails relatifs à toutes les interactions ayant eu lieu entre Reichenbach, les banques allemandes, le gouvernement de Berlin, et l'institution basée à Londres (BERD) durant les six dernières années. Le site internet de la BERD répertorie une liste de 57 institutions financières – ou de filiales d'institutions financières – en Allemagne qui sont décrites comme des « banques de confirmation » pour son « programme d'appui à la facilitation du commerce ». Reichenbach est-il venu en aide à ces banques d'une quelconque manière ? Si oui, il pourrait y avoir un conflit d'intérêts dû au poste qu'il occupe actuellement, et pour lequel l'agenda qu'il suit dépend des banques allemandes.

La BERD attire rarement l'attention des journalistes. La plupart d'entre nous n'ont qu'une idée floue consistant à penser qu'elle a contribué à la transition suite à l'effondrement du communisme en Europe centrale et en Europe de l'est. Ce que nous ignorons, c'est ses objectifs idéologiques assez obscurs.

L'organisme Bankwatch a montré comme la BERD s'est entichée du concept de partenariats entre les secteurs privé et public élaborés pas le gouvernement conservateur de Grande-Bretagne dans les années 1990. Le but poursuivi par ces plans consiste à conférer aux entreprises dont la principale motivation est le profit, un rôle plus important dans la procuration de services qui étaient jusque là assurés par le secteur public.

Les défenseurs des « partenariats » ont tendance à avancer que ces plans-là garantissent une plus grande efficacité. L'expérience, en revanche, nous montre que leur objectif véritable consiste à permettre aux capitalistes rapaces de prendre le contrôle de l'argent du contribuable. Tel a été le cas d’un grand nombre de « partenariats » financés par la BERD. Un plan concernant la mise en place d'une centrale d'épuration des eaux usées pour Zagreb (capitale de la Croatie), pour lequel la BERD avait accordé un prêt de 55 millions d'euros en 2001, n'a fait l'objet que d'ajournements et de reports. Alors que la population croate a tout perdu, les entrepreneurs impliqués (appartenant en partie au distributeur d'énergie allemand RWE) n'ont cessé d'être rémunérés, et ce avec un montant bien plus supérieur à celui prévu initialement. (La valeur du projet est passée de 176 millions d'euros à presque 327 millions d'euros entre 2001 et 2007).

Récemment, la BERD s'enthousiasmait à l'idée de s'étendre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. À l'issue d'une évaluation menée en Egypte par la Banque, les projets garantissant une « croissance durable qui serait assurée par le secteur privé » constituent le seul critère pour les activités que la Banque pourrait financer. Ceci indique que la BERD partage bien mieux les idées du dictateur méprisé Hosni Moubarak que celles des courageux manifestants qui ont causé la chute de ce même dictateur l'année dernière. Moubarak poursuivait également les mêmes buts afin de calmer ses potes occidentaux. L'application du « programme d'ajustement structurel » qui avait été requis en Egypte par le FMI en 1991 a doublé la proportion de la population qui survit avec moins de 2 dollars par jour.

En ce moment, la Grèce subit également un « ajustement structurel ». Christine Lagarde, qui est actuellement à la tête du FMI, dit s'inquiéter plus du sort des enfants pauvres en Afrique qu'en Grèce. Son attitude est méprisable. Ce sont bel et bien les prescriptions économiques qu'elle approuve qui aggravent la pauvreté dans le monde. C'est bien grâce à elle et à Reichenbach que des expériences s'étant déjà révélées désastreuses sont en train d'être renouvelées.

●Traduction: www.michelcollon.info

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